CHAPITRE I Les gorators La sombre et colossale silhouette bascula par-dessus le rempart et chuta de trente mètres. Elle alla se lézarder le crâne sur un amas rocheux, recouvert d’une mousse dense et gluante en contrebas de la muraille. Son hurlement fut étouffé par le tonnerre et les éclairs qui déchiraient le ciel obscur pour s’abattre avec violence sur la vallée. La dégénérescence béante du gorator l’aveuglait, mais ne l’empêcha point de se relever. Elarden s’inclina par-dessus le garde-corps et le vit chanceler. Il se tenait le crâne avec une main et de l’autre, il reprit sa hache, se ressaisit, leva la tête et émit un cri. Cette fois, sa rage transperça la tempête. Elarden s’empressa de nouer une corde à la poutre de la corniche et la déroula jusqu’au sol boueux de la vallée. Il entreprit une descente périlleuse sous une pluie torrentielle. L’eau et le vent frappaient la paroi. Les aspérités des pierres créaient d’abondantes rigoles ruisselantes et rendaient la mousse de la muraille pégueuse. À chaque bourrasque, sa cape noire imbibée lui fouettait la figure. Son armure détrempée alourdissait sa masse corporelle. Ses longs cheveux indociles lui collaient au visage et amenuisaient son angle de vision pendant sa désescalade. D’une main, il se protégeait les yeux et renvoyait sans cesse sa cape derrière lui. Le vent déchainé continuait à le flageller. Ses doigts se crispaient sur la corde. Gorgée d’eau, la descente s’avérait périlleuse. Il faisait chaque mouvement à tâtons. Il risquait de perdre pied et basculer dans le vide à chaque instant. Les deux talons plaqués contre la muraille, Elarden se recroquevilla comme un ressort et se propulsa vers l’arrière tel un funambule. Il se posa un genou sur le sol, les deux mains dans une mare de boue saturée de plasma sanguin. Les éclaboussures lui souillaient le visage. L’odeur de la chair embrasée du sang coagulé et du bois brûlé qui s’en échappaient, lui enflammait les poumons. Elle lui hachait la respiration. Inhaler devenait une option dont il aurait volontiers pu se passer. Il releva la tête, son regard affichait une froidure chargée de haine et de vengeance, il serra les mâchoires à s’en briser les dents. Les corps inertes, émacier et décapités de ses frères d’armes parsemaient le sol. Son cœur pulsait à tout rompre. Il sentait le sang affluer dans ses veines tel un torrent d’eau déchainé. Son épée pointée à bout de bras, il se rua vers la créature, effectua une roulade frontale pour finir par glisser sous lui, il bondit sur ses pieds. Le monstre se retourna. Il intercepta un coup de hache imprécis et musclé de son adversaire. Le heurt fissura son bouclier. Dans sa riposte, l’esprit obscurci par la rage, le gorator opta pour une position qui créa une brèche qui le rendit vulnérable. Lorsque le monstre porta son glaive vers l’arrière, Elarden plissa les yeux. Il lui asséna un coup d’épée et lui ouvrit la haine. Un flot de liquide foncé et sirupeux en jaillit, affluant au sol par jet répétitif. Il lâcha un cri à donner des frissons dans le bas du dos. Elarden, le visage tordu de dédain, le corps raide, lui enfonça sa lame acérée sous la mâchoire. Elle traversa la gueule du monstre, transperça ce qui lui sert de cerveau et émergea au-dessus de son crâne. Lorsqu’il la retira, le colosse recula. Il trébucha sur des dépouilles mutilées et tomba sur les genoux. De toute la puissance qu’engendrait son désir de vengeance, Elarden le frappa à répétition à la base du cou. Un bruit de chair déchirée et de craquement d’os en résultat. Sa tête fut dissociée de son torse et bascula dans la boue. Elle dévala la pente et s’arrêta au côté d’un bosquet de hautes herbes. Malgré le déluge, son regard diabolique lui donnait des frissons. Jamais il n’avait été témoin d’une telle détermination chez l’ennemi depuis ses nombreuses années de combats. Il s’essuya le visage du revers de sa main et lissa sa longue crinière noire couverte de sang. D’un geste brusque, il ramassa la tête par les cheveux et l’empala sur une lance enfoncée au sol. Voilà ce qui se passe quand on se frotte à moi, va rejoindre les tiens ! Pensa-t-il Témoin de la scène, un de ses congénères s’élança sur lui. La pluie diluvienne ralentissait ses déplacements d’Elarden. Lourd et saturé d’eau, il lança sa cape devant les yeux du monstre qui fouetta l’air de sa hache. D’un mouvement de recul du bassin, Elarden effectua une manœuvre avec son bouclier pour dévier l’impact, toutefois, non sans entailler son armure et atteindre sa peau. L’arme du gorator s’abattit sur un rocher. Du coin de l’œil, il vola en éclat. Les veines de son cou se mirent à battre au rythme de son cœur. Par Nanadiah, j’aurais pu être ce rocher. Il se mit dans une situation qui lui octroyait une meilleure défensive. Il anticipait le moindre des mouvements du gorator. La fatigue le gagnait. L’eau ensanglantée courrait sur son visage. Il haletait. Ses muscles le brûlaient et se tendaient telle la corde d’un arc sur le point de rupture. Assailli sans cesse par les offensives de la créature, son bouclier fragilisé finit par se fendre en deux morceaux tranchants. Après avoir explosé sa rondache, la hache continua sa course, lui effleura l’autre épaule et se planta dans la terre boueuse. Un sourire diabolique illumina le visage de son adversaire. Avec le peu de vigueur qui l’éperonnait, Elarden attrapa une lance fichée dans un cadavre encore fumant d’un de ses camarades. Tel un athlète de saut en hauteur, il la planta au sol dans sa course et se catapulta sur le rocher derrière le colosse. Désorienté, le gorator eut à peine le temps de se retourner. Il fut trop lent à réagir. Rapide comme l’éclair, Elarden bondit sur son dos et se cramponna. Les jambes enlacées autour de son cou, et avec sa lame, il transperça la peau cuirassée de son assaillant. Celle-ci pénétra entre deux vertèbres cervicales. Le gorator terrassé s’effondra. Le monstre empoigna le tranchant de l’épée qui lui ressortait par la gorge. Au même moment, Elarden la retira d’un geste sec, lui lacérant la paume et un doigt. Il lança un cri de rage et tenta de le désarçonner. Ses efforts furent vains. Elarden l’acheva avec de puissants heurts à la base du cou et le décapita. Il ne pouvait maintenant compter que sur son demi-bouclier pour parer les chocs titanesques de ses ennemis. Un gorator revint à la charge et s’acharna sur lui. À chaque coup, il reculait de quelques pas. Sa respiration s’accélérait. Sa transpiration se mêlait avec la pluie. De plusieurs mouvements demi-circulaires et à plusieurs reprises, il changea la direction de la pointe de son épée en la transférant de main. Distrait par la manœuvre, l’ennemi stoppa net et fit machine arrière, ne sachant où et quand il serait frappé d’estoc. En quelques secondes, Elarden escalada un gros arbre mort, appuyé sur un énorme rocher. Les mâchoires serrées, il tenta de lui sauter sur le dos. Cette fois, la tactique n’eut pas l’effet escompté. Le tranchant de l’arme du gorator lui fit une entaille considérable à la cuisse. Il tomba par terre. Quelques centimètres plus haut, c’en était fini de moi. Il recula sur les coudes s’aidant de ses pieds, mais ses mocassins glissaient dans cette vase sanglante. La hache s’abattait entre ses jambes par intermittence. Il s’adossa à un roc et joua le tout pour le tout. En une fraction de seconde, Elarden se retourna, appuya ses talons sur le rocher et se propulsa sous le monstre. Avec la détermination de voir un autre lever du jour, il passa entre ses membres inférieurs et lui lacéra l’artère fémorale. Le sang lui jaillissait au visage. Avec maladresse, le gorator fit volte-face et fouettait l’air de sa hache. Il réussit à graver une balafre qui divisait son arcade sourcilière gauche et terminait sa course sur sa joue droite. Il laissa tomber Freya, recula d’un pas malhabile et hurla à s’époumoner. La brûlure le terrassait, les images devant lui s’estompèrent jusqu’à disparaître, mais par chance elles revinrent presque aussitôt pour apercevoir le monstre charger de nouveau. Sans tenir compte de ses blessures. Elarden l’évita d’un bond latéral. Il effectua une pirouette sur lui-même et s’élança vers lui, et lui déchiqueta la chair au niveau du cou avec le tranchant de son demi-bouclier. Le combat prit fin quand Elarden ramassa son épée et lui disjoignit la tête du corps. Le gorator tomba sur les genoux. Il posa le pied sur son épaule et le repoussa vers l’arrière. Désassembler celui-ci bascula au sol inerte. Derrière lui, un grognement étouffé par un bruit de tonnerre passa sous silence. La lame du monstre qui s’abattait sur le crâne d’Elarden fut interceptée par Melkior. Elarden se retourna et devint blême. Tous les poils de son corps se hérissèrent et des frissons lui parcoururent l’échine. Il lui fit tout de même un sourire oblique et un clin d’œil. Une fois de plus, Melkior le sortait du pétrin. S’il y a une personne à laquelle il faisait confiance à l’aveuglette, c’était bien lui. Lorsque le gorator vint pour ouvrir la gueule, Melkior la lui embrocha par dessous. Sa lame brillante maculée de sang traversait la gueule ouverte du gorator et dévoila ses deux immenses crocs effrités et jaunit. Les mains moites appuyées sur les genoux, Elarden reprenait son souffle. — Je t’en dois une Melkior, le remercia-t-il d’une voix entrecoupée ! Il se releva, lissa ses cheveux trempés et se positionna dos à dos avec son second pour affronter les derniers assaillants. Il chambranlait et peinait à tenir sur ses jambes. Kormack, le chef de la horde, anticipait son sort et prit la fuite sans attendre l’issue de la bataille. Elarden lança son épée, elle tournoya, fendit l’air comme une dague et s’enfonça entre ses omoplates. Il empoigna le manche avec ses trois gros doigts, la retira sans émettre un seul cris ou grognement et la lança au sol. Il fit volte-face et de sa voix étranglée, lui cria. — Tekr Kormack, tekr awak eyalisdiurn Arcaan, gorators butchek tekr, les prévint-il dans son langage saccadé. Sa menace, car elle en était bien une, disait, moi Kormack, toi homme dragon, Arcaan. gorators tuer toi. L’expression démoniaque, imprégnée sur son visage, donna à Elarden des frissons dans le bas du dos. Kormack planta l’épée au sol avec fureur et disparut dans la pénombre comme si la pluie le dématérialisait. Sa vengeance présageait le pire et Elarden en était conscient. Melkior regarda son compagnon d’un air interrogateur. — Tu comprends tu c’qui dis el’colosse. — Ouaip ! pis ça ne sent pas bon grimace-t-il lorsqu’il se retourna Elarden sentit la seule jambe sur laquelle reposait son corps se dérober sous lui, mais fut vite rattrapé par son compagnon. — Un massacre, Melkior, ni plus ni moins un massacre, ce soir nous avons perdu la totalité des hommes sur le terrain.

Publisher Description Récit authentique et déséquilibré d'une première ascension du mont Blanc par un blond à lunettes inexpérimenté qui, au cours de son voyage, réapprit à pour Radio Nova plutôt branché bouquins que bouquetins, Richard Gaitet n'avait avant cette épopée aucune expérience de la montagne tout juste sept heures à mourir de chaud en descendant le Grand Canyon et un séjour au Tibet où il a connu... les vertus du naturisme sur lac ce livre, le reporter à lunettes plus tête en l'air que tête brûlée a survécu à l'aiguille du Midi par l'intervention d'une providentielle main au cul, hurlé de peur dans la vallée d'Aoste, gravi cinq fois de suite en courant les deux premiers étages de la tour Eiffel, découvert les joies de la via ferrata au crépuscule et celles de la tomme de Savoie au petit-déjeuner, relu Tolkien, Lionel Terray et les mangas de Jirô Taniguchi, et surtout... appris le maniement du piolet afin d'aller danser sur des arêtes sommitales de 40 centimètres de large, avec 2000 mètres de vide de chaque côté, par -8°C et le visage battu par des vent des 50 km/h...Le jeune écrivain facétieux est instruit dans sa quête par le plus drôle et le plus romanesque des membres de la Compagnie des Guides de Chamonix René Ghilini, 60 ans, guide professionnel, vainqueur de l'Annapurna, chasseur de cristaux précieux, surnommé " le condor français " dans certains villages du Pérou suite à son décollage en deltaplane depuis les 6768 mètres du Huascaran... et par ailleurs handicapé de la main gauche, en raison d'un terrible accident dont il réchappa Lionel Terray à Mary Shelley, de Dragon Ball à René Daumal, de Christophe Profit à Kilian Jornet, il revisite l'imaginaire montagnard sous un angle burlesque et poétique, en convoquant ses héros présents et passés, réels ou fictifs.

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